Le silence régnait dans le compartiment des premières.Tous les passagers semblaient assoupis. Désireuse de prendre elle aussi un peu de repos, la chef de cabine allait rapidement d’un siège à l’autre afin de s’assurer une dernière fois que tout était en ordre. A la hauteur de l’ultime rangée pourtant, malgré sa hâte son pas s’attarda. Levant les bras pour contrôler si les placards étaient hermétiquement fermés, elle prit le temps d’observer discrètement, vers l’aile gauche, le passager côté fenêtre.

Les bras croisés, le tête légèrement inclinée et les cheveux sur le front, il dormait profondément.

Qu’il était donc séduisant.

Jamais le trajet de New York à Londres n’avait paru si bref. Cette bouche au sourire irrésistible, ce regard qui vous mettait le cœur en émoi, cette chevelure sombre et bouclée où se notaient déjà quelques fils d’argent… Et il était si charmant! Réservé peut-être, mais courtois et souriant. En tous points égal à sa légende.

-Stewardess, murmura une voix.

Prise en faute, l’hôtesse tressaillit. Dirigeant son regard vers la personne qui venait de parler, elle vit un homme d’une soixantaine d’années vêtu avec la distinction et la recherche d’un authentique gentleman anglais. C’était le voisin du beau dormeur.

-Oui, Monsieur?

-Je vous prie de pardonner mon inexcusable ignorance, dit le gentleman d’une voix contenue en brossant un grain de poussière imaginaire sur l’une de ses manchettes, mais qui est donc ce monsieur dont ·la seule présence semble représenter pour vous – et pour vos compagnes – une source aussi inépuisable d’intérêt? Vous venez le contempler jusque dans le sommeil!

Avec un air de stupéfaction comique il désignait du doigt le siège d’à côté.

 -Mais… C’est Mark Abbot, répondit l’hôtesse en rougissant.

Voyant que son interlocuteur ne comprenait pas, elle poursuivit:

 -…Une des superstars du cinéma américain, le jeune premier le plus recherché de Hollywood. N’avez-vous jamais entendu parler de « Week End à Sydney »?

-Heu…

-Son dernier film. Il y a obtenu une nomination à l’Oscar; l’interprète du rôle féminin, Melissa Mellís, aussi.

-Yes. Celle-là, je connais.

-C’était sa compagne à l’époque je crois, réfléchit tout haut l’hôtesse. Maintenant ils se sont quittés.

-Je vois. Beau, célèbre, encore jeune et même célibataire. Il a vraiment toutes les qualités, ce héros.

-Chchcht!!…

Le dormeur venait de remuer la tête. Tendue, l’hôtesse n’osait plus bouger.

-Ne vous inquiétez pas, gloussa le gentleman. Avec toutes les pilules qu’il vient d’avaler, votre grande star ne va pas se réveiller de sitôt!

-Seigneur. Et il n’a rien mangé en plus. Serait-il malade?

L’Anglais répondit par une moue dubitative et vaguement ironique. Combien de fois, en cours de voyage, n’avait-il pas surpris son voisin en train de se tâter subrepticement le pouls ou d’écouter sa propre respiration. Et sa manie de se masser continuellement l’estomac! En ce qui le concernait, ce bel héros était tout simplement un peu timbré.

Percevant sa désapprobation, l’hôtesse vola sur le champ au secours de son favori.

-C’est une personne très sensible, vous comprenez. Un véritable artiste.

Elle se pencha en avant et ajouta d’un ton confidentiel:

-J’ai entendu dire qu’il écrivait aussi; et avec succès. Mais je ne connais pas ses livres car il publie sous un pseudonyme qu’il refuse de dévoiler.

-Aussi modeste que talentueux alors. Quel remarquable jeune homme. Dommage qu’il ne semble pas, heu, dans la meilleure des formes.

-C’est certainement dû au stress. Ces gens-là ont une existence si fatigante.

-J’imagine. Trois mois de travail par an, et le reste du temps à se trimballer d’une villégiature à l’autre. Vie de chien.

Peu sensible à l’humour de son interlocuteur, l’hôtesse suivait le cours de ses pensées.

-Pauvre garçon, murmura-t-elle, avez-vous vu les cernes qu’il a sous les yeux; cela se voit qu’il n’en peut plus. Mais s’il est vrai qu’il a ingurgité tous ces remèdes, comment vais-je faire pour le réveiller lorsque nous arriverons à Londres?

Le gentleman lui fit signe d’approcher l’oreille.

-Pourquoi n’essayez-vous pas les baffes, dit-il..

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