-Ne t’en fais pas, dit Paola en payant l’addition. On me demande assez fréquemment des secrétaires bilingues. Je te trouverai certainement quelque chose, peut-être bien cette semaine déjà.

Juliette se cala sur sa chaise et soupira d’aise. Elle avait vu juste. Paola, ravie de l’entendre au téléphone, l’avait aussitôt invitée à déjeuner. Elles avaient passé le temps à refaire connaissance, se racontant les principaux événements qui avaient marqué leur vie au cours des six derniers mois. Paola surtout était intarissable. Avec un peu d’embarras, car enfin elle n’était pas venue ici par sympathie mais pour obtenir quelque chose, Juliette découvrait combien l’ex-amie de son frère manquait d’amitiés féminines. C’était un peu de sa faute, car elle avait tendance à éloigner les autres avec son agressivité. Pourtant, elle était aussi chaleureuse et généreuse. Comme prévu, elle n’avait pas fait un seul reproche à Juliette de l’avoir ignorée si longtemps.

Paola rangea son portefeuille dans son sac et regarda Juliette avec sympathie.

-Je suis si heureuse que tu sois venue me voir, dit-elle spontanément.

Juliette eut honte.

-Alors, nous allons boire le café dans ton bureau?, dit-elle rapidement pour changer de conversation.

-Oui, si ça ne te fait rien, dit Paola en se levant, au cas où il y aurait des téléphones…

-As-tu vu Guido ces derniers temps?, lui demanda Juliette lorsqu’elles quittèrent le restaurant.

-Non, il a complètement disparu de la circulation.

Juliette perçut un écho vaguement nostalgique dans la voix de sa compagne. Mentalement, elle prit la décision de tenter quelque chose en sa faveur; elle lui devait bien ça.

Le téléphone sonnait déjà lorsqu’elles entrèrent dans le bureau. Paola se précipita.

-Allô, oui? C’est bien, passez-le moi, dit-elle en enlevant son manteau et en saisissant au vol de quoi écrire.

L’image de l’efficacité, songea Juliette en prenant, elle, son temps pour retirer son manteau et son écharpe. Paola, très jolie et élégante dans son petit tailleur mini, une griffe fameuse à en juger par la beauté de la coupe, lui faisait un peu envie en ce moment. Elle-même n’était pourtant pas mal non plus avec sa longue jupe couleur de feuilles d’automne et son pull-over crème, mais l’autre était plus à la mode. Cette saison, on portait court.

Dans tous les cas, il était inutile d’y penser puisque de toutes façons elle n’en avait pas les moyens. Elle soupira et fit signe à Paola qu’elle allait chercher le café.

Le distributeur automatique était en face de l’ascenseur, juste à côté de la réception.

La réceptionniste, une jolie brunette qui ne devait pas avoir plus de vingt ans et semblait s’ennuyer à mort devant son ordinateur, répondit à son salut et l’observa avec curiosité. Pas aussi sûre d’elle qu’elle voulait s’en donner l’air, Juliette commença aussitôt à se demander si elle avait bien choisi ses habits. Sa jupe était-elle trop longue ? Son pull trop large ? Vaguement embarrassée, elle était impatiente de voir les verres se remplir afin de pouvoir s’en aller. Heureusement, un client fit son entrée.

-Do you speak english?, entendit-elle prononcer d’une voix bien timbrée.

– Sure ! s’exclama l’employée, manifestement ravie de la diversion. Satisfaite de voir son attention s’adresser ailleurs,  Juliette prit ses cafés et jeta machinalement un coup d’œil au nouveau venu.

Elle manqua tout renverser sur le tapis.

Ce visage, cette voix… Ce n’était pas possible!

Se ressaisissant aussitôt, elle décida d’en avoir le cœur net. Pour cela, une seule solution: écouter la conversation. Se détournant donc à nouveau, elle déposa ses deux cafés sur une petite table accolée au distributeur et se mit à fouiller ostensiblement ses poches à la recherche de monnaie. Heureusement que cette machine était payante, cela lui permettait de gagner du temps.

Le monsieur cherchait une secrétaire bilingue anglais-italien munie d’un ordinateur. Il la voulait disponible à quitter Milan pendant quelques jours car il comptait voyager.

Moi, moi, pensa Juliette.

-Je paierai ce qu’il faudra, dit-il.

Juliette en était déjà au quatrième gobelet. Elle se tourna légèrement de façon à pouvoir observer discrètement le visiteur. Son cœur bondit à nouveau.

Comme il lui ressemble!, pensa-t-elle. Mais qu’aurait-il à faire ici? Pourvu qu’elle lui demande vite son nom, je ne peux tout de même pas rester devant cette machine jusqu’à demain!

Elle pressa le bouton pour un cinquième café: il fallait bien justifier sa présence.

Par chance, après quelques téléphones, la réceptionniste avait trouvé quelqu’un pour s’occuper du cas. Deux minutes plus tard, une jeune fille arrivait à la réception pour prendre charge du client.

-Je m’appelle Michela ; enchantée Monsieur, dit-elle en lui tendant la main.

-Bonjour Mademoiselle. Mark Aberdeen.

Ce nom… Ce n’était pas le même, bien sûr, mais il avait tout de même quelque chose de familier. Et puis, le prénom était le même. Il y avait du louche. Juliette ramassa tant bien que mal ses cinq gobelets et, avec naturel, emboîta le pas au couple qui s’éloignait.

Le bureau de Michela était au milieu du couloir, à mi-chemin entre la réception et le bureau de Paola. Juliette marchait le plus lentement possible afin de suivre la conversation.

-Vous êtes Américain?, disait Michela.

-Oui, de New York.

-Quelle ville fascinante!

-Euh…oui… en fait, je vis la plupart du temps à Los Angeles.

-Ah ça, c’est encore autre chose…

Ils entrèrent dans le bureau et Michela ferma la porte.

Los Angeles!

La moitié du café s’était répandue par terre. Juliette, qui s’était brûlé les doigts, étouffa une imprécation. La tête lui tournait.

Cela faisait un peu trop de coïncidences, vraiment. Elle vola plutôt qu’elle ne marcha les derniers mètres qui la séparaient du bureau de son amie.

Déjà plongée dans ses dossiers, Paola leva la tête lorsqu’elle entra.

-Te voilà enfin, dit-elle. Mais pourquoi cinq cafés?

-C’était pour m’informer. Tu ne sais pas qui j’ai vu à la réception. Tiens-toi bien…

L’air sceptique, Paola écouta le récit un peu haletant qu’on lui faisait.

-Alors, conclut Juliette tout excitée, n’est-ce pas extraordinaire?

-Heu…Tu oublies une chose: l’homme que tu as vu s’appelle Aberdeen et non pas Abbot.

-Mais c’est lui, je te dis! D’ailleurs le prénom est le même et puis il lui ressemble tellement…à moins que Mark Abbot n’ait un frère jumeau, mais ça, ça se saurait.

-Du calme, Juliette. Même si c’était lui, que t’importe? Je… Oui?

Michela, qui avait frappé à la porte, entra dans le bureau. Elle avait l’air complètement chaviré.

-Paola, je… Oh pardon, je ne savais pas que tu avais du monde, s’interrompit-elle en voyant Juliette.

– Ça ne fait rien. Qu’y a-t-il?

-J’ai un client dans mon bureau; je… il m’a dit s’appeler Aberdeen, mais je… je crois qu’il s’agit de Mark Abbot! Tu sais, la star de cinéma !

Juliette eut un hochement de tête ironique pour son amie, avec un sourire du genre « qu’est-ce que je te disais ».

-Encore une!, dit Paola, décidément, c’est une manie!

-Tu pourrais venir?, demanda Michela un peu effrayée. Il a l’air terriblement exigeant et je suis… je suis… L’émotion la faisait bégayer.

-Bien. Je crois vraiment qu’il faut que je m’en mêle, déclara Paola avec le ton de celle qui se dévoue à la cause. Elle se leva et vérifia brièvement sa tenue. Impeccable, comme toujours.

-Reste ici et calme-toi, dit-elle à Michela avant de sortir du bureau. J’aurai besoin de toi dans un moment.

Moins d’un quart d’heure après, le téléphone sonna. Michela, qui était restée debout à se ronger les ongles, répondit aussitôt.

-Oui, j’arrive.

-Courage, chuchota Juliette.

La demi-heure suivante lui sembla durer une éternité. Enfin Paola revint; elle avait les yeux brillants.

-Alors?, dit tout de suite Juliette.

-Alors, dit Paola d’un ton volontairement négligent, tu avais raison, c’était bien Mark Abbot.

-Ah! dit Juliette en donnant un coup de poing victorieux au bras de son fauteuil. Mais en fait, comment l’as-tu découvert?

-C’est très simple, je le lui ai demandé.

-Quelle audace! Je n’aurais jamais osé faire ça.

-Et tu aurais eu tort. Il faut oser dans la vie sinon on n’obtient jamais rien.

Juliette enregistra la leçon sans mot dire.

-…J’avais d’ailleurs le droit d’être curieuse puisqu’il voulait louer nos services.

-Que désire-t-il exactement?

-Une secrétaire bilingue capable de faire des recherches sur Internet et deux ordinateurs portables. Le monsieur est aussi écrivain figure-toi; Aberdeen est son nom de plume.

-Aberdeen… le Roman Noir! Voilà pourquoi ce nom me disait quelque chose!, s’exclama Juliette en battant des mains. Qui aurait cru… Souhaite-t-il garder le secret sur sa véritable identité?

-Oui. La personne qui travaillera pour lui ne devra pas le connaître sous son nom d’Abbot. Il veut l’incognito.

-C’est tout à fait possible. Personne ne fera le rapprochement entre Abbot et Aberdeen. Quant à moi, j’avoue que j’ignorais cet aspect de la vie de Mark.

-En ce moment, il a un livre en chantier et besoin qu’on l’aide pendant la durée de son séjour en Italie. Il compte passer des vacances dans les régions du Centre, et peut-être aussi un peu à Venise. Il n’a pas été très clair là-dessus.

-Beaucoup de temps?

-Non, dix à quinze jours, pas plus. C’est un petit mandat. Michela est déjà en train de chercher quelqu’un.

Le cerveau de Juliette marchait à cent à l’heure. Elle se décida d’un coup.

-Paola, dis à Michela d’interrompre ses recherches, je prends le travail.

Si Juliette avait voulu produire un effet, elle aurait pu se féliciter à cet instant. Paola, qui rangeait un dossier dans un tiroir, s’arrêta net. Elle tourna lentement la tête et regarda Juliette d’un air consterné.

Un ange passa.

-Toi! !

Cette réaction n’était pas particulièrement gratifiante. Cependant, pratique avant tout, Juliette ne perdit pas de temps à s’offenser. Elle avait brusquement décidé qu’elle voulait ce travail – et qu’elle l’aurait.

Une véritable partie de bras de fer s’engagea. Avec autant de tact qu’elle pouvait en avoir, Paola chercha tout d’abord à détourner l’obstacle.

-Ecoute Juliette, pour toi j’avais déjà songé à autre chose. Une entreprise d’imports-exports. Des gens très bien, que je connais. C’est…

-Non, coupa Juliette. J’ai envie de travailler pour Mark Abbot.

Paola but une gorgée de café.

-Je crains que tu ne sois pas la personne qu’il cherche, dit-elle posément. Il veut une secrétaire expérimentée, qui sache reprendre au vol un travail déjà commencé.

-D’abord, je suis trilingue, ce qui n’est déjà pas si mal.

-Heu… bilingue plutôt, grâce à ta mère française.

-Trilingue, s’impatienta Juliette. J’ai fait la moitié de mes écoles à Londres!

Le ton commençait à monter.

-OK. Trilingue si tu veux, dit sèchement Paola, quoiqu’en l’occurrence ton français ne te serve à rien. Mais ça ne suffit pas pour faire une bonne secrétaire.

-Je sais m’arranger avec un ordinateur. J’ai un PC chez moi; je prépare tous mes cours avec.

-Ça ne suffit pas de « savoir s’arranger » dans ce cas, Juliette. Passe pour les recherches sur Internet, là je te concède que tu peux t’en tirer, mais tu sais peu de choses en matière de traitement de texte. C’est toi-même qui me l’as dit tout à l’heure au bistrot.

Sa fichue habitude de trop parler. Juliette se serait mordu la langue de frustration.

-J’ai un manuel très complet sur le traitement de texte chez moi, objecta-t-elle. Je n’ai qu’à le prendre avec moi et…

-Tu vois un peu l’effet que ça ferait si j’envoyais quelqu’un comme toi, persifla l’autre qui voulait en finir. MilanService procure des secrétaires qui ont besoin d’un mode d’emploi pour travailler à l’ordinateur. Non, non, c’est exclu, n’insiste pas.

Juliette décida de changer de tactique. Elle se fit cajoleuse.

-Voyons Paola, réfléchis. Tu n’as rien à perdre! Que veut dire pour toi un petit mandat de quinze jours? Tu l’as dit toi-même, pour ton agence, c’est une misère.

-J’ai dit non. C’est peut-être un petit mandat mais Mark Abbot est un personnage. Il est à soigner.

Juliette tenta la flatterie.

-Je crois que je comprends ton problème; tu crains pour la réputation de l’agence, que tu as toi-même beaucoup contribué à créer. Mais il n’y a pas de peur à avoir, je t’assure. Pour commencer, Mark Abbot ne va pas rester derrière moi à me regarder travailler! je pourrai donc m’arranger. Ca ne doit pas être très compliqué de faire du traitement de texte.

Paola tambourinait nerveusement des doigts sur son bureau. Elle leva les yeux au ciel et poussa un soupir agacé.

-Juliette, j’ai dit que je t’aiderai à trouver quelque chose à faire, mais il n’est pas question de te donner ce travail car tu n’en es pas capable! Vu?

Le silence s’installa dans la pièce. Bonne fille, Paola regrettait déjà d’avoir été brutale et regardait Juliette qui, déconfite, avait les yeux fixés sur la pointe de ses souliers. Elle tenta d’atténuer la dureté de ses paroles.

-Juliette, reprit-elle gentiment, si Mark Abbot m’avait demandé une prof. de langues ou une interprète, j’aurais tout de suite pensé à toi.

Juliette ne répondit pas.

Désireuse de rétablir entre elles le courant d’amitié qu’il y avait un moment plus tôt, Paola poursuivit ses justifications: les gens du spectacle n’étaient pas faciles à manier, celui-ci semblait particulièrement nerveux, il s’agissait du premier travail de Juliette… sans se douter que cette dernière, loin d’accepter la défaite, préparait déjà sa prochaine attaque.

Juliette était beaucoup moins naïve qu’elle n’en donnait l’impression. En fait, souvent, elle se servait de sa candeur comme d’une arme. Dans le cas présent, elle avait réussi à mettre l’adversaire en déroute en lui donnant des complexes de culpabilité. Paola était affaiblie au point de ne plus trop savoir quoi dire. C’était le moment de reprendre le combat.

Elle releva la tête avec douceur.

-Quand je pense que Guido m’avait dit que tu m’aiderais, murmura-t-elle tristement.

Paola mordit aussitôt à l’hameçon.

-C’est lui qui t’a envoyée vers moi?

L’espoir perçait dans sa voix.

-… Mais je ne demande pas mieux que de t’aider, c’est toi qui…

-Tu ne comprends pas. Ce travail aurait été pour moi une chance inespérée. J’ai une copine qui travaille chez « Ciak » – tu sais, la revue cinématographique. J’aurais pu écrire un article sur Mark Abbot…

Paola fronça les sourcils.

-… avec sa permission, bien sûr!, s’empressa de mentir Juliette.

-Et?

-Et qui sait? Ça aurait peut-être été pour moi l’occasion de percer comme photo-reporter dans le cinéma. Grâce à ma copine, j’aurais été sûre d’être publiée. Enfin… (soupir étouffé) puisque tu penses que ce n’est pas possible…

Juliette jeta un regard de coin à Paola: tout allait bien, elle paraissait pleine de sympathie. En avant pour la botte finale!

-Dimanche prochain, mes parents organisent une fête de famille dans leur propriété de Spello, près d’Assises. Tout le monde y sera. En travaillant pour Mark Abbot, j’aurais été quasiment sur place; ne m’as-tu pas dit qu’il comptait se rendre par là-bas? J’aurais donc pu aller aisément à Spello, peut-être même, qui sait, en sa compagnie. Si je te raconte tout ça, c’est parce qu’une idée m’est venue tout d’un coup: pourquoi ne viendrais-tu pas toi aussi? Si tu rencontres ton client, tu pourras juger par toi-même de sa satisfaction. Si tu ne le vois pas, tu me verras, moi. Il me laissera bien quelques heures de liberté pour l’anniversaire de mon père! Et je te raconterai tout. Dans tous les cas, nous passerions un beau week-end ensemble avec ma famille. L’Ombrie est agréable en cette saison…

Silence.

Juliette avait vraiment l’impression d’avoir brûlé ses dernières cartouches. Consciente d’y être allée assez fort, elle n’osait pas regarder Paola. Allait-elle s’offenser ou saisirait-elle la perche qu’on lui tendait? Et si elle n’avait pas compris? On ne pouvait pas être plus explicite pourtant!

Elle commençait à désespérer lorsqu’un bruit insolite lui fit brusquement relever la tête.

Paola riait.

D’abord discret comme un gloussement qu’on étouffe, son rire s’enfla petit à petit jusqu’à remplir le bureau.

-Tu as gagné, espèce de sournoise, dit-elle enfin en s’essuyant les yeux. Mais c’est du chantage!

-Exactement. Alors, tu me donnes le travail?

-Oui, à mes risques et périls! Si tu ne le satisfais pas, tâche au moins de le distraire par tes pitreries. Comme ça, il ne viendra pas protester!

-Ne t’en fais pas, j’en fais mon affaire!

-…Et vu que, comme dans toute entente, il faut que les deux parties obtiennent satisfaction, voilà mes conditions: d’accord pour le week end prochain, mais ça ne suffit pas. En un jour et demi, on n’accomplit rien. je veux au moins cinq invitations d’ici à Noël. Avec ton frère, évidemment.

-Entendu; tope-la?

-Tope-la.

***

Il était une heure du matin. Juliette bâilla à s’en décrocher la mâchoire.

Faire du traitement de texte se révélait moins simple qu’elle ne l’avait cru. Après avoir passé deux heures à s’exercer avec son manuel, elle avait l’impression de tout emmêler.

Deux heures plus tôt, elle s’était interrompue un moment pour procéder à quelques opérations de beauté. Après tout, elle allait rencontrer son acteur favori et ça méritait bien qu’elle se donne un peu de mal. N’ayant ni le temps ni les moyens d’aller chez le coiffeur, elle s’était fait les mèches à sa façon, épilé un peu les sourcils qu’elle trouvait trop abondants pour être jolis et appliqué un masque de beauté sur le visage.

Ensuite elle s’était occupée de son habillement. Paola lui avait bien recommandé d’avoir l’air sérieux et professionnel, surtout pour la première entrevue. Elle avait donc cherché à rassembler ce qu’elle avait de plus sévère dans sa garde-robe, mais n’avait pas trouvé grand-chose. Après maints essayages, elle avait dû se décider, faute de mieux, pour une longue jupe plissée bleu marine, un chemisier bleu ciel très classique et un veston bleu à boutons dorés. Le veston était un peu estival et pas tout à fait du même bleu que la jupe, mais elle n’avait rien d’autre. Quant aux souliers, elle choisit des ballerines car elle ne possédait pas de talons hauts de couleur bleue.

En se regardant dans la glace, elle s’était bien jugée un peu sévère, mais après tout, elle ne se présentait pas pour un poste de modèle ; et puis avec ses cheveux châtains sur les épaules et ses yeux verts, elle n’allait tout de même pas si mal.

Mais tout cela avait pris pas mal de temps, et maintenant elle avait sommeil. Comme elle ne devait pas rencontrer Mark avant dix heures du matin, elle décida d’aller dormir et de se lever tôt le lendemain pour s’exercer encore un peu. Cela lui permettrait aussi de se pomponner à loisir avant de se présenter à son futur employeur.

***

Mark ouvrit péniblement un oeil et le referma aussitôt. Il se sentait fourbu.

Quelle nuit! A peine de retour à l’hôtel, il s’était mis à éternuer. Un rhume avait suivi, accompagné de maux de tête…sans parler de ses démangeaisons dans le dos, qui ne passaient pas. Naturellement, avec tout ça, pour changer, il n’avait pas fermé l’œil, ce qui lui avait laissé tout le temps pour méditer à loisir sur son état de santé général.

Il n’avait pas de température (pour le moment), sa pression semblait normale, son estomac, pour une fois,  était calme et il respirait normalement.

Mais il se sentait malade quand même.

Vers les six heures du matin, il avait fini par s’écrouler, un thermomètre à la bouche et une bouteille de scotch à la main. A présent, tout les muscles lui faisait mal. Quant à la tête, ouvrir les yeux était en soi une douleur. Et il ne tentait pas de la remuer!

Avec remords, il fixa la bouteille qui avait roulé par terre. Il avait vraiment un peu tendance à forcer sur le whisky ces temps. Entre ça et les tranquillisants…

Il devait être tard sans doute à en juger par les bruits de la rue, mais il n’en avait cure, au contraire. C’était tout ça de moins à traîner seul à Milan avant de… il ouvrit brusquement les yeux.

Zut! La secrétaire! A quelle heure devait-elle se présenter, au juste?

Comme pour répondre à sa question, le téléphone retentit sur sa table de nuit.

Ces sonneries sont trop bruyantes, songea-t-il en sentant son cerveau résonner comme une cloche. Il se précipita sur le combiné pour le faire taire.

-Monsieur Aberdeen?, dit poliment une voix. Il y a une dame ici pour vous. Elle dit qu’elle a rendez-vous.

-Quelle heure est-il donc?, dit Mark, la voix un peu pâteuse.

-Dix heures précises, Monsieur.

Mark étouffa un juron.

-Bien, dit-il sèchement. Dites-lui qu’elle doit attendre un peu. Je vous appellerai quand elle pourra monter.

Il raccrocha et ne fit qu’un bond jusqu’à la salle de bains.

***

Juliette était au bord des larmes.

Pour commencer, elle n’avait pas entendu son réveil ce matin. Elle avait été peut-être exagérément optimiste hier en le mettant sur six heures, mais comment avait-elle donc réussi à dormir à poings fermés jusqu’à neuf heures trente ! Et heureusement qu’elle avait reçu un paquet, sinon… A la pensée de ce qui aurait pu se passer si la concierge ne l’avait pas appelée, elle en avait des sueurs froides.

Et ses tribulations ne s’étaient pas arrêtées là. Lorsqu’elle s’était précipitée en courant dans la salle de bains – naturellement, plus question de se pomponner – elle ne s’était pas reconnue.

Incrédule, elle s’était regardée dans le miroir. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle se faisait elle-même les mèches: elle aimait ces reflets blonds dans ses cheveux foncés. Hier soir d’ailleurs, elle les avait vus blonds. Pourquoi donc avaient-ils pris cette teinte roux sale pendant la nuit? Et comme si cela ne suffisait pas, ses cheveux, encore vaguement humides lorsqu’elle s’était couchée, avaient séché dans tous les sens.

Un  malheur ne venant jamais seul, sa peau semblait avoir une allergie au masque de beauté qu’elle avait employé: son visage était entièrement constellé de minuscules boutons rouges, comme lors d’une crise d’urticaire. Et – cerise sur le gâteau – un furoncle avait décidé, précisément aujourd’hui, d’éclore à la racine de son nez, juste entre les deux yeux!

Un monstre. Une sorcière.

Pour camoufler le désastre autant que possible, elle avait dû se faire un chignon bien serré et mettre des lunettes– complètement démodées hélas, mais comme elles ne lui servaient que pour la télévision, elle n’avait jamais songé à les changer. Ensuite, elle s’était habillée à la hâte et, sans prendre le temps de juger de son effet à la lumière du jour, elle avait sauté dans un autobus.

Mais maintenant, après avoir vu son reflet dans la porte vitrée de l’hôtel, elle avait vraiment envie de pleurer. Rencontrer ainsi l’homme de ses rêves, quelle humiliation! Et il lui faisait faire antichambre, en plus. Pour qui se prenait-il? Si elle avait su, elle aurait quand même pu prendre un peu de temps pour s’arranger, au lieu de courir comme une dératée.

-Mademoiselle, Monsieur Aberdeen vous attend.

Ah oui, ne pas oublier, il se fait appeler Aberdeen et je ne suis pas censée connaître sa véritable identité, pensa-t-elle en se regardant dans le miroir de l’ascenseur. Mon Dieu, mais j’ai vraiment l’air d’une hôtesse de l’air!

Ce fut tout à fait l’opinion de Mark.

Une hôtesse de l’air des années vingt, en plus moche!, constata-t-il sombrement. Décidément, j’ai toutes les chances!

Il retint un sourire sardonique. Encore une journée qui s’annonçait bien! Il s’était réveillé avec un début de grippe corsé d’une gueule de bois, le téléphone l’avait jeté en bas du lit, il était furieux contre lui-même car il détestait être en retard, et enfin…ça!!

Il avait envie de fermer les yeux pour ne pas la voir. Avait-il réellement pensé hier que l’aspect physique était sans importance? L’alcool avait dû lui brouiller le cerveau. Il était déjà déprimé, et voilà tout ce qu’un coquin de sort trouvait à lui envoyer comme réconfort moral. Ces cheveux…

Il décida d’appeler sur le champ MilanService pour qu’on lui envoie quelqu’un d’autre. En attendant, la courtoisie lui imposait de faire semblant de rien. Quelques questions pour sauver les apparences, et dehors!

 -Quel est votre nom?

Juliette était tellement émue de le rencontrer et, tout à la fois, si désolée de l’apparence qu’elle avait elle-même qu’elle ne comprit pas ce qu’il lui disait.

-Je…blps…je vous demande pardon?, bégaya-t-elle.

Ah, comme elle enviait l’aisance d’une Paola en ce moment!

Sourde ou stupide, songeait Mark. De mieux en mieux!

-Votre nom!, aboya-t-il.

-Ju…Juliette Manin.

Jamais vu prénom si mal porté, jugea-t-il avec dédain. Bon sang quel visage! Entre les lunettes et les boutons… Il recula sa chaise et détourna les yeux.

-Alors Mademoiselle, voici ce que j’attends de la personne qui m’aidera.

Brièvement, pour en finir au plus vite, il décrivit les tâches de sa future secrétaire.

Ce répit, si court fut-il, permit à Juliette de se ressaisir. Son esprit qui semblait l’avoir désertée depuis son réveil catastrophique se remit à fonctionner.

La politesse de Mark ne la trompait pas un instant : ça n’allait pas, ça n’allait pas du tout! Elle lui déplaisait, toute son attitude le lui témoignait: phrases brèves, voix froide, yeux fuyants… Il fallait absolument renverser la vapeur, et vite, sinon elle courait tout droit au fiasco.

Mark essayait déjà de prendre congé.

-Hmm, bon, je crois vous avoir dit l’essentiel. Aujourd’hui je n’aurai pas besoin de vous. Et maintenant…

Et maintenant, du balai pour que je puisse téléphoner à l’agence et réclamer quelqu’un d’autre, continua Juliette pour elle-même. Ah non, pas de ça!

Une idée, il lui fallait une idée.

Pour commencer, empêcher coûte que coûte Mark Abbot d’interrompre l’entrevue maintenant. Mais comment?

Ce fut l’intéressé lui-même qui, sans s’en douter, lui en fournit le moyen. Pressé d’en finir avec Juliette, il but d’un trait le café qu’on lui avait apporté du bar et voulut se lever. Pourtant, voyant que la tasse de Juliette, à qui la bonne éducation avait voulu qu’il en offre une, était encore à moitié pleine, il se rassit et la lui fit observer d’un air un peu ennuyé.

-Vous ne prenez plus de café?

Qu’elle boive et qu’elle s’en aille!

J’ai trouvé!, pensa Juliette.

Comédienne à ses heures, elle sut feindre à la perfection de s’étrangler en buvant… et renversa la moitié du café sur sa blouse.

-Juste ciel!, s’exclama-t-elle d’une voix horrifiée.

Comme il évitait de la regarder, Mark n’y avait vu que du feu. Avec un soupir résigné, il lui tendit un napperon de papier et lui désigna la salle de bains.

Bien, se dit Juliette une fois seule, ça a marché. J’ai gagné un sursis. A présent, il s’agit de savoir comment le dissuader de chercher quelqu’un d’autre. Voyons, Juliette, concentre-toi, c’est important. Surtout, oublie de qui il s’agit, car ça t’intimide et tu te comportes comme une oie. Fais comme si c’était n’importe qui.

Elle se redressa et ferma les yeux.

Trois stratégies, réfléchit-elle. Une: je le séduis. Elle ouvrit les yeux et rencontra son reflet dans la glace. Exclu! Du moins, pour quelques jours.

Cette idée était si cocasse qu’elle se serait même mise à rire si elle n’avait pas été si pressée.

…D’ailleurs, poursuivit-elle, même au mieux de ma forme, séduire ce type-là serait une entreprise à long terme. Trop difficile. Passons à deux: je lui fais le coup de la sympathie. Ça, ça fonctionne assez bien en général, mais j’ai trop mal commencé et le temps me manque pour redresser la situation. Par conséquent, à éliminer aussi dans l’immédiat. Reste trois: le convaincre de mes capacités…

Au salon, Mark commençait à s’énerver. Elle en mettait un temps! Il se racla la gorge.

-Tout va bien?, cria-t-il.

-J’arrive!, répondit Juliette.

Vite, vite, mes capacités, c’est aussi mon utilité. Qu’a-t-il dit à Paola déjà? qu’il voulait voir l’Italie centrale?

Lorsque Juliette sortit de la salle de bains, Mark était déjà vers la porte. Comprenant qu’il n’y avait plus une minute à perdre, elle se jeta à l’eau sans même lui laisser le temps d’ouvrir la bouche.

-Excusez-moi de ce regrettable incident Monsieur, dit-elle dans un anglais parfait. Tout à l’heure en nettoyant ma blouse, poursuivit-elle immédiatement, j’ai pensé que je pourrais peut-être vous être utile…

Le visage de Mark se renfrogna.

-…c’est à dire, je crois savoir que vous comptez vous rendre en Italie du Centre?

-C’est exact.

Il posa sa main sur le bouton de la porte.

-Eh bien, j’ai eu l’idée…par hasard, j’ai beaucoup de relations dans cette région vous savez… Dans sa hâte, elle se remettait à bafouiller.

-Alors?

Le regard de Mark était glacé. Il commençait déjà à tourner le bouton.

Juliette nota le mouvement.

-Je vois que vous êtes très pressé, Monsieur Aberdeen, mais j’en ai pour une minute si vous voulez bien m’écouter.

La main de Mark s’immobilisa, mais ne changea pas de place.

-Je vous écoute.

-Un… artiste comme vous doit aimer l’insolite, je suppose. Là où vous allez, il y a beaucoup de choses à faire dont vous ne trouverez pas trace dans un guide touristique habituel.

-Par exemple?

-Dormir dans un cloître interdit aux visiteurs, dans un palais ou dans une forteresse…

Mark gardait un visage fermé. Elle poursuivit avec l’énergie du désespoir:

-… Visiter des palais non ouverts au public, voir des collections privées, faire les antiquaires— et à ce propos j’en connais personnellement qui ont des pièces… spéciales, des objets rares pour connaisseurs…

Anxieuse de voir si elle parvenait à l’intéresser, elle osa le regarder dans les yeux pour la première fois. Il la fixait sans mot dire, mais son visage avait un peu perdu de sa rigidité et quelque chose qui ressemblait à une lueur d’intérêt – du moins l’espérait-elle – flottait dans son regard. il hésita un moment, puis lâcha le bouton de la porte.

Gagné !

Certes, cette première entrevue ne s’était pas déroulée comme elle l’avait rêvé, mais si l’on songeait à la façon dont elle avait démarré, c’était déjà un joli succès.

-Par quels moyens comptez-vous me faire visiter des lieux interdits au public?

-Comme je vous l’ai dit, je connais beaucoup de gens…

Intérieurement, Juliette bénissait sa famille et le soutien qu’elle savait pouvoir y trouver.

-Vous avez des noms, des adresses?

-Bien sûr. Mais je ne peux pas vous assurer de pouvoir réunir le tout aujourd’hui.

-Bien. Venez ici à quinze heures. J’aurai sans doute du travail de prêt pour vous.

-Entendu.

-D’ici là, allez à la gare chercher des billets pour Venise; je compte m’y arrêter quelques jours avant de poursuivre pour Florence. La grève des trains est terminée, nous pouvons donc partir demain.

***

Bouche bée, Paola regardait Juliette.

Curieuse de voir comment son amie s’en tirait avec Mark Abbot, elle s’était rendue en personne à l’hôtel Duomo pour la signature du contrat. Elle ne s’était pas attendue à pouvoir lui parler, mais à présent elle aurait donné n’importe quoi pour être seule avec elle.

C’était ahurissant. Hier, Juliette était jolie et savait s’habiller. Aujourd’hui… Incrédule, Paola contemplait les cheveux jaunâtres et l’épaisse couche de maquillage qui ne parvenait pas à cacher le rugueux de la peau, comme si cette dernière était couverte de boutons. Quant à l’accoutrement…

Profitant de ce que Mark avait l’air absorbé par un appel téléphonique, elle saisit son amie par le bras et la poussa vers l’autre extrémité de la pièce.

-Que t’est-il donc arrivé? chuchota-t-elle.

-…voulu faire des mèches hier soir, un désastre – et puis le masque de beauté… allergie, des boutons, bredouilla Juliette, et puis aujourd’hui le coiffeur, pas le temps, et puis–

-Du calme, admonesta Paola avec fermeté. Ravale tes larmes. Tout ceci est réparable; l’important, à ce point, c’est qu’il signe le contrat.

-Il ne signera pas, murmura Juliette d’un ton tragique. Il me déteste tellement qu’il ne veut même pas me regarder.

-C’est vrai que tu fais peur à voir aujourd’hui, sans vouloir te vexer, ma pauvre Juliette. Ceci dit, laisse-moi faire.

Avec un sourire et un clin d’œil à son amie, elle s’avança vers Mark et attendit qu’il termine son téléphone.

-Monsieur Aberdeen? dit-elle lorsqu’il reposa le combiné. Comme je passais par ici, j’ai pensé profiter de l’occasion pour vous faire signer le contrat…

-… ?

-…Le contrat d’engagement pour Mademoiselle Manin.

-Ah, euh… dit Mark, pris au dépourvu.

Il n’avait pas encore appelé l’agence pour réclamer quelqu’un d’autre. Ce matin, pour une raison qu’il avait qualifiée d’honnêteté mentale, il avait décidé de donner une chance à la personne qui s’était présentée avant de la renvoyer. Mais en réalité il n’avait tout simplement pas eu le courage de la rejeter sur le champ. Elle avait eu l’air si affolée devant son manque évident de sympathie, et si désireuse de lui plaire qu’il avait eu pitié d’elle. Lui, Mark Abbot, qui n’avait pas pour habitude de laisser les sentiments s’infiltrer dans sa vie professionnelle. Fallait-il que ses problèmes personnels l’aient rendu gâteux!

Et à présent il était coincé. Ou bien il signait pour deux semaines (deux semaines de cette triste figure! Rien qu’à y penser, son dos le picotait de partout), ou bien il donnait le coup de grâce à Mademoiselle Manin, qui le suivait des yeux avec une expression de chien battu depuis qu’elle était arrivée cet après-midi. Si au moins elle avait été un homme…

Voyant qu’il hésitait, Paola reprit la parole.

-Je suis sûre que Mademoiselle Manin vous donnera toute satisfaction. Elle est très qualifiée, mentit-elle effrontément, et, chose intéressante pour vous, elle connaît parfaitement l’Italie centrale.

Mark s’appuya sur le dossier de sa chaise et regarda Paola d’un air méditatif. Celle-là voulait le faire signer avant qu’il n’ait changé d’avis, c’était clair. Mais il lui en fallait bien plus pour être manipulé; si elle croyait pouvoir lui dicter ses décisions! Allons, c’était le moment de remettre les choses en place. MilanService n’aurait qu’à trouver une autre victime pour son vilain petit canard. Malgré lui, son regard dévia et se posa sur Juliette.

Elle avait tiré un petit miroir de son sac à main et fixait son reflet d’un regard éploré.

A son grand étonnement et bien malgré lui, Mark sentit un léger pincement au cœur. Elle était tellement moche qu’elle en arrivait presque  à l’attendrir !

Il avait toujours eu des standards très précis pour les choisir les gens qui l’entouraient : il exigeait de l’efficacité, de l’intelligence et une belle présentation. Peut-être Mademoiselle Manin était-elle intelligente et efficace (ça restait encore à prouver), mais elle n’avait sûrement pas une belle présentation. Et elle était triste, en plus.

Il soupira avec agacement. Sa capacité de jugement était vraiment par trop amoindrie ces jours-ci ; sa volonté aussi. Mais il n’y arrivait pas. Il ne lui restait plus qu’à s’assumer. Une expression d’ennui résigné sur le visage, il se tourna vers Paola.

-Passez-moi ce contrat, dit-il.

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